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Allocution de Bernard Duval, Prix Jean-Rochon 2000

Cher Fernand,

Chers collègues et amis,

Je suis heureux ce soir.

Je suis heureux d’avoir l’occasion de rendre hommage à un des grands, un de pères fondateurs de la santé publique au Québec.

J’ai connu Fernand Turcotte quand j’ai commencé mon stage de résidence au DSC du CHUL en 1978.  J’étais de retour de Harvard où il m’avait précédé de quelques années et où il avait côtoyé notamment Jean Rochon, Thérèse Morais et Louis Bernard.  Un des premiers travaux qu’il m’a confié consistait à analyser les résultats des dépistages qui se faisaient alors en milieu scolaire.  L’idée était de démontrer qu’il se dépensait beaucoup d’énergie pour peu de résultats.  Ce qui fut fait.  L’article a été publié dans la Revue canadienne de santé publique quelques années plus tard, avec Claude Lapointe comme auteur principal, et les dépistages ont été considérablement repensés.

Cette anecdote révèle plusieurs des caractéristiques de Fernand.  Il aime questionner les routines, le statu quo.  Il ne craint pas de se confronter aux idées reçues, aux habitudes ancrées.  C’est un esprit curieux, qui pose des questions.  C’est aussi un homme courageux qui est prêt à combattre pour ses idées s’il pense que la santé publique sera mieux servie.

J’ai retrouvé Fernand sur ma route quand j’ai pris mon premier poste comme spécialiste en santé publique.  J’étais responsable du Projet Nord.  Tout juste avant mon arrivée, un rapport venait d’être produit sur les services de santé au Nouveau-Québec : le rapport Turcotte.  Fernand avait relevé à grands traits les nombreuses anomalies et incohérences des services nordiques et fait des recommandations substantielles.  On voit apparaître ici d’autres de ses caractéristiques : la capacité de voir rapidement les problèmes, de poser un diagnostic populationnel, de déboucher sur de l’action concrète, et enfin son intérêt indéfectible pour le Nord.  Encore à ce jour, Fernand reste attaché au « Projet nord » et on le voit régulièrement au troisième étage du Centre de santé publique de Québec où est logé l’équipe Nunavik.  C’est une autre des qualités de Fernand : la fidélité, la constance dans la poursuite des objectifs de santé publique, dans la solution des grands dossiers de santé.

Ces qualités se sont particulièrement manifestées dans un dossier plus contemporain auquel son nom est immanquablement rattaché : le tabagisme.  Sur cet enjeu majeur, l’action de Fernand est devenue un symbole.  Symbole d’acharnement à lutter pour une cause juste, pendant des années, malgré les difficultés de toute sorte, allant de l’affrontement des grandes puissances financières que sont les compagnies de tabac à la nonchalance des confrères.  Toujours respectueux des gens mais prompt à dénoncer l’inacceptable, Fernand a réservé quelques-unes de ses plus belles fleurs de rhétorique pour les compagnies de tabac. 

Cela m’amène à une facette différente de son personnage.  Fernand est un magicien des mots.  Dans un milieu où la langue de bois et le politiquement correct ennuyeux est fréquent, Fernand arrive comme un rayon de soleil.  Son langage imagé, ses images percutantes, sa propension à appeler un chat un chat sont une grande source d’inspiration (et de divertissement) pour son entourage.  À peine assagi avec les années, il vous parlera encore du « cartel du tabac » et vous écrira que le cancer est contagieux (il s’attrape des compagnies de tabac).  En d’autres circonstances, il dira que la santé publique s’est heurtée à « un Himalaya de préjugés ».  Je vous laisse à penser la taille colossale de ces préjugés.  Une autre de ses phrases célèbres est qu’on a besoin de quelque chose « comme d’un trou dans la tête ».  Cela laisse songeur sur l’inutilité de ce qui mérite ce commentaire lapidaire. 

Sur un plan plus personnel, je partage avec Fernand plusieurs passions.  Tout d’abord, la passion de la musique.  Fernand est un saxophoniste émérite, un membre fidèle d’aux moins deux harmonies de la région de Québec.  Il fréquente les camps musicaux et les boites de jazz.  Il essaie d’ailleurs de nous convaincre, ma femme et moi, du plaisir que nous aurions à faire de la musique au camp d’été qu’il fréquente assidûment.  Ce dont nous ne doutons d’ailleurs pas.  L’art tient une grande place dans sa vie à plus d’un titre puisque sa compagne est une peintre de talent.  J’ai eu le plaisir de recevoir une de ses œuvres en cadeau lors d’un récent tournoi de tennis au bénéfice de la ménopause.  Cela me permet de mentionner cette autre passion que nous partageons : le tennis.  Joueur enthousiaste même si un peu handicapé par une blessure au genou qui le force à porter une armure impressionnante, Fernand se donne à cette activité avec un entrain et une énergie que pourrait lui envier plusieurs collègues plus jeunes.

Cela m’amène au dernier point dont je voudrais vous faire part.  Vous remarquerez que je n’ai pas épilogué sur son CV, ses deux termes comme directeur du DMSP de Laval, son engagement de longue date comme rédacteur adjoint de la Revue canadienne de santé publique, ses rapports marquants en santé au travail et bien d’autres choses encore.  Je voudrais souligner la plus grande dette que la santé publique québécoise a envers Fernand.  Fernand, toute sa vie, a d’abord été un enseignant.  Il a contribué à former probablement le tiers ou la moitié des spécialistes en santé communautaire de la province.  À une époque où l’université valorise démesurément la recherche et les revenus qu’elle procure, il a tenu le fort (une fois de plus) pour continuer à servir de mentor à des générations de spécialistes et autres étudiants en santé publique. Il fut un véritable point de repère, tel un de ces inukshuk nordiques, pour les jeunes apprentis dont j’ai fait partie il y a déjà plus de 20 ans.  C’est le fleuron d’une carrière qui a été d’une richesse peu commune.

Ce fut un privilège d’avoir l’occasion de contribuer à cet éloge combien mérité que l’Association te rend ce soir.  Merci et reste encore longtemps avec nous.

Bernard Duval
Sacacomie

19 mai 2001